Meurtres, tsunamis, milices et pirates : quatre cinéastes nous parlent de leurs étonnants tournages…

Canon Canada

Le film documentaire a ses exigences. Les caméras sont de plus en plus sophistiquées, maniables et abordables et dès lors, il n’a jamais été aussi facile de devenir cinéaste. Cela a également incité les documentaristes à vouloir capter des images qui n’avaient jusqu’à maintenant jamais été montrées. Les réalisateurs peuvent parfois passer des années à explorer et développer un sujet, à voyager dans les lieux les plus improbables pour raconter leurs histoires et ils recueillent des centaines d’heures d’entrevues.

Quatre documentaristes racontent, en leurs propres mots, les tournages les plus difficiles auxquels ils ont participé.

Ezra Edelman

Réalisateur de O.J. : Made in America, une série documentaire de huit heures sur le procès pour meurtre d’O.J. Simpson. Présentée d’abord sur ESPN, la série a remporté le prix du meilleur documentaire aux Oscars en 2017.

La caméra : Canon Cinéma EOS C300

Dans ses propres mots :

« Je tenais absolument à raconter l’histoire d’O.J. Simpson avec la plus grande minutie, a raconté Edelman au magazine Wired. Je voulais raconter ce qu’avait été sa vie après le procès; mais je voulais aussi raconter en parallèle une autre histoire : celle des relations entre la communauté afro-américaine et le service de police de Los Angeles, car l’histoire de Simpson pouvait en révéler beaucoup sur la question raciale aux États-Unis. Et puis, à un autre niveau, il y a cette autre histoire de Simpson comme icône sportive et culturelle. Alors si on revient au procès, tout cela prenait presque les allures d’un cours complet sur les États-Unis. »

Lui et ses collègues ont donc construit un immense tableau afin de bien suivre le programme des entrevues avec tous les acteurs impliqués. « C’était une sorte de chaos organisé, explique Edelman. Je voulais que les personnes interviewées donnent leur point de vue sur ce qu’elles ont vécu, que ce soit à propos de la carrière de footballeur d’O.J. Simpson ou du service de police de Los Angeles. Les personnages principaux de la série, ceux qui ont eu le plus grand impact, sont des gens que personne ne connaît. Un jour, j’étais sur le quai d’une gare quelque part au Connecticut et Tamara Rosenberg, la productrice, est venue me voir en me disant : ‟Je viens tout juste de parler à ces deux gars, et ce sont des amis d’enfance d’O.J.”, et je n’avais jamais entendu parler de ces deux personnes, mais c’est exactement ce genre de chose qui permet d’avoir un portrait d’ensemble. Chaque fois que cela arrive, c’est comme une petite victoire. »

Edelman et son équipe ont travaillé deux ans sur ce projet et recueilli 800 heures de tournage, réalisant 72 entrevues.

Gracieuseté de Lucy Walker.

Lucy Walker

Réalisatrice de Tsunami and the Cherry Blossom (2011), finaliste aux Oscars pour le meilleur court métrage documentaire, ce film porte sur les suites du tsunami dévastateur qui s’est produit au Japon.

Caméra : Canon EOS-5D Mark II

« Nous avons roulé sur l’étroite route nordique en direction de la région de Tōhoku, où le tsunami a frappé, raconte Lucy Walker. Rien ne nous avait préparé à travailler dans un tel paysage. La photo n’est pas tri-dimensionnelle. La zone dévastée était immense et très peu de travail avait été fait pour la nettoyer. Je m’attendais à une zone sinistrée plus restreinte et plus peuplée. Les dommages s’étendaient sur des kilomètres et des kilomètres et on rencontrait à peine quelques sinistrés qui grimpaient sur les montagnes de débris dans cette dystopie post apocalyptique. »

« À ma grande surprise, les gens venaient vers nous et étaient heureux de raconter leur histoire. Ce fut la meilleure partie du tournage. Cela compensait un peu pour les moments difficiles : voir les véhicules renversés, la clé toujours dans le démarreur et parfois avec un corps à l’intérieur, les signes peints sur les carcasses d’auto ou les maisons indiquant que des morts se trouvaient à l’intérieur et, dans certains endroits, l’odeur insupportable. Le risque de radiation constituait un réel problème et j’avais été sensibilisée à cette possibilité par mon travail sur Countdown to Zero, alors chaque fois que nous mangions, chaque fois qu’il pleuvait ou que nous nous lavions, nous devions penser à éviter toute contamination. »

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Gracieuseté de Matthew Heineman.

Matthew Heineman

Réalisateur et directeur photo de Cartel Land (2015), un documentaire sur les milices qui luttent contre les trafiquants de drogue au Mexique.

Caméra : Canon Cinéma EOS C300

Dans ses propres mots :

« Je n’ai jamais été correspondant de guerre, a raconté Matthew Heineman au Guardian. Mon plus récent film portait sur les soins de santé aux États-Unis et je n’avais jamais été dans une zone de conflit lorsque mon père m’a fait parvenir des articles de presse sur les milices d’auto-défense au Mexique. Tout de suite, j’ai su que je voulais faire un film sur les milices présentes des deux côtés de la frontière. ».

« Alors, j’ai commencé à creuser ce sujet, J’ai eu accès à des choses que je n’avais pas imaginées possibles et alors j’ai ressenti l’obligation de raconter cette histoire. Dès le moment où j’ai mis le pied au Mexique, j’ai voulu me rendre dans un laboratoire de méthamphétamine. La majorité de cette drogue consommée aux États-Unis provient du Mexique, principalement de Michoacán. Partout où j’allais, je demandais aux gens s’ils avaient un contact. Mais pendant quatre mois, nos démarches ont été vaines. Puis un jour, nous avons eu un appel : ‟Soyez au square du centre-ville à 18 h.” Au moment prévu, des hommes masqués nous ont fait traverser la ville, puis des villes plus petites, puis nous avons roulé à travers champs, et alors, une autre voiture est arrivée pour prendre la relève. »

« Lorsque nous sommes arrivés à destination, il faisait nuit. Je ne tourne jamais avec des éclairages artificiels, alors je ne pouvais pas croire m’être rendu si loin et ne pas pouvoir tourner dans cette obscurité. Mais alors, le chef a commencé à me faire visiter le labo avec une lampe de poche et j’ai tourné toute la scène avec cette seule lumière. »

Je n’étais bien pas préparé mentalement à ces fusillades, ces séances de torture et tous les moments intenses dont j’ai été témoin durant ce projet. Mais le plus difficile fut certainement l’histoire de cette femme que l’on a forcée à assister au meurtre brutal de son mari et de quatre autres personnes. Le sadisme de cet acte était insoutenable. »

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Jerry Ricciotti

Caméraman sur la série Vice, diffusée sur HBO, il se rend souvent dans des lieux dangereux pour raconter des histoires le plus souvent ignorées par les grands médias.

Caméra : Canon Cinéma EOS C300

Dans ses propres mots :

« Nous nous sommes rendus dans le delta du fleuve Niger, au Nigéria, pour raconter l’histoire de pirates du pétrole, a raconté Jerry Ricciotti à Newsshooter.com. Ces pirates s’en prennent aux oléoducs de la compagnie Shell dans cette région. Ils détournent littéralement le pétrole des oléoducs et le raffinent eux-mêmes, un peu comme on distille l’alcool de contrebande. Nous n’étions pas certains d’avoir une alimentation électrique alors nous avions amené une provision de batteries et de cartes pour trois ou quatre jours, et nous avons campé tout là-haut et finalement nous avons trouvé les pirates. C’était en plein cœur de la nuit alors nous avons tourné sur un bateau Panga avec un petit panneau lumineux et un rig épaule, et nous avons parcouru le fleuve, filmant sans nous interrompre à la recherche des longues trainées de fumée indiquant la présence des pirates. »

« Une fois les pirates repérés, nous avons dû marcher dans une sorte de vase, essentiellement un mélange de boue et de résidus de pétrole rejetés par les pirates chaque jour. Ils raffinent d’énormes quantités de pétrole, mais une bonne quantité est rejetée dans l’environnement. Vous marchez avec ces bottes de caoutchouc qui montent au genou, et le raffinage du pétrole produit beaucoup de fumée. C’est un environnement dangereux, car la fumée rejette des particules qui peuvent prendre feu et enflammer toute la place. Bien sûr, vous aimeriez filmer avec un trépied, mais c’est impossible, alors vous devez tenter de garder votre équilibre d’une main et tourner de l’autre. ».

« Pendant tout ce temps, il faut surveiller l’audio et la mise au foyer et j’ai été très satisfait de la caméra. Nous n’avions pas besoin d’un rig à l’épaule lourd ni de regarder constamment dans le viseur. Avec la précision de la mise au foyer et sa capacité de tournage en éclairage réduit, nous avions la caméra idéale pour ce genre de tournage. »